Une fresque historique captivante, mais un héros problématique
La série Poldark, adaptée des romans de Winston Graham, nous plonge dans la Cornouailles du XVIIIe siècle et suit le destin de Ross Poldark, un aristocrate revenu de la guerre d'Indépendance américaine pour retrouver son domaine en ruine et son amour de jeunesse, Elizabeth, promise à un autre. Il tente de reconstruire sa vie en épousant Demelza, une jeune servante issue d'un milieu modeste, et en réouvrant une mine. Entre tensions sociales, intrigues politiques et tourments amoureux, Poldark allie action, romance et drame historique.
Dès le premier visionnage, je me suis laissée emporter par la beauté visuelle de la série : des paysages sauvages, l'océan omniprésent, une cinématographie soignée, des acteurs impeccables et une musique envoûtante. Pourtant, au-delà de cette immersion esthétique, une analyse plus critique s'impose : le héros tant adulé n'est-il pas en réalité un manipulateur narcissique, maintenant Demelza dans une relation toxique ?
Ross Poldark : un héros narcissique et toxique
Si Ross Poldark incarne l'archétype du héros romanesque, il présente également de nombreux traits d'une personnalité narcissique. Son comportement envers Demelza est révélateur d'une relation où la charge émotionnelle, domestique et financière repose entièrement sur elle et ressemble tant à ce que j'ai vécu et à ce que tant de femmes vivent encore aujourd'hui. Ross agit, combat, s'agite, prend, profite tandis que Demelza travaille sans relâche pour assurer la survie du foyer : elle cuisine, entretient la maison, élève leurs enfants, gère leurs finances, et finit par porter la responsabilité de la mine. Mais cela ne suffit pas : elle doit aussi être présentable, gracieuse et capable de briller en société, un monde qui n'est pourtant pas le sien. Et ne parlons pas des suites des accouchements et des changements de corps, d'humeurs, d'émotions, de besoins dans ces moments de vie d'une femme qui sont totalement invisibilisés dans la série, les femmes étant présentées quelques jours plus tard dans leurs mêmes robes, avec corset et en capacité de tout assumer.
Pendant ce temps, Ross se complaît dans une quête illusoire d'un amour idéalisé pour Elizabeth, qu'il fantasme comme l'unique femme pouvant le comprendre. Pourtant, jamais il ne s'engage réellement envers elle, la gardant à distance tout en maintenant Demelza dans une relation dominée par son ego. Il prend ce qu'il pense lui être dû, objectifiant les femmes et les relations, sans jamais se remettre en question.
Un schéma patriarcal répété à travers les âges
Cette dynamique n'est pas anodine. On la retrouve dans d'innombrables récits, de Cendrillon à Pretty Woman, où l'homme sauve la femme de sa condition et lui offre une vie meilleure. Mais ici, Demelza ne reçoit aucun salut : elle endure, elle aime, elle pardonne, mais Ross ne change pas. Il revient sans cesse vers elle avec des paroles douces et des promesses creuses, mais son comportement reste le même.
De plus, la série met en scène des situations de non-consentement, où le "non" d'une femme est perçu comme un "oui" inavoué, reflétant une culture du viol malheureusement encore trop banalisée dans les fictions. Ce qui est présenté comme un amour passionné n'est souvent qu'une relation dominée par le désir charnel et l'emprise psychologique.
Quand la sororité se brise au profit du patriarcat
Un autre point marquant est la façon dont les femmes, d'abord solidaires, finissent par s'opposer sous l'effet des comportements masculins. Au lieu d'une unité féminine, elles se retrouvent en compétition, souvent par la faute des hommes qui soufflent le chaud et le froid. Demelza et Elizabeth, qui auraient pu être alliées, sont placées en rivalité, alimentant les schémas patriarcaux.
Regarder Poldark sous le prisme du féminisme avec un regard critique
Il ne s'agit pas de renier le plaisir qu'on peut avoir à regarder Poldark, mais plutôt d'exercer un regard critique sur ce que cette série perpétue. La fascination pour Ross Poldark est-elle justifiée, ou est-elle le résultat d'une imprégnation culturelle profonde qui nous pousse à excuser et à romantiser des comportements toxiques ?
Demelza est incontestablement l'héroïne de cette série et bien plus un modèle que le héros, elle incarne celle qui apprend vite, qui sait s'adapter et sait tout faire, qui a l'intelligence du cœur et met en œuvre de la diplomatie là ou les hommes agissent avec leur ego. Elle s'intéresse réellement aux autres et manifeste une générosité désintéressée, elle est au plus proche de ses émotions et de sa sensibilité. Un femme riche de qualités, vivante, humble qui grandit au fil du temps et qui n'apparait pas sur l'affiche officielle de la série, ni le nom de l'actrice d'ailleurs qui est remarquable et qui plus est chante elle-même les mélodies de la série avec une voix d'ange, seul trône l'acteur et son nom au dessus !
Regarder cette série en couple peut être une occasion d'engager une discussion : comment percevons-nous les héros et les héroïnes ? Quelle influence ces représentations ont-elles sur notre propre vision des relations ?
Enfin, je tiens à préciser que cette analyse repose uniquement sur la série et non sur les romans de Winston Graham, qui pourraient apporter d'autres nuances.
Une série magnifique, mais un héros à déconstruire
Poldark est une série visuellement splendide et narrativement engageante. Mais au-delà de son héroïsme et de ses passions, elle perpétue les schémas d'une relation toxique où la femme porte tout pendant que l'homme suit son propre ego et ses désirs.
Déconstruire ce type de fiction ne signifie pas s'en priver, mais apprendre à les analyser avec plus de recul. C'est en prenant conscience de ces dynamiques que nous pouvons, peu à peu, réinventer des modèles de relations plus égalitaires et respectueux. Je vous engage donc a regarder Poldark sous le prisme du féminisme !

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