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  • voiraudelahypnose

Anatomie d'une chute, une réflexion sur notre société patriarcale !

Sur les conseils d’un ami je regarde le film Anatomie d’une chute de Justine Triet, nous avions été voir ensemble le film Tár de Todd Field que nous avions trouvé grandiose, il me le conseille le trouvant dans la même veine.

Affiche du film Anatomie d'une chute de Justine Triet

Je le regarde chez moi, je ne connais pas l’histoire et n’ai vu aucun extrait ni lu aucune critique, je déteste qu’une quelconque tentative d’influence sur mon libre arbitre ait lieu avant de prendre connaissance de l'œuvre. J’espère donc que vous lirez ces lignes après visionnage du film, dans l’esprit d’un débat philosophique et d’un partage.


Ici je ne vais pas en faire une analyse cinématographique, c’est à dire que mon expertise quant au cadrage, au montage et toute autre technique n’est pas de mon domaine, non pas que je ne sois pas sensible à l’esthétique d’une œuvre, sa lumière ou tout autre élément au service de celle-ci. Pour ce film, ce qui est venu me chercher profondément concerne essentiellement la réflexion philosophique sur la société, le couple et tous les conditionnements de pensée qui en découlent.

Alors oui j’ai noté quelques incohérences comme le fait que le personnage principal, la femme accusée du meurtre de son mari n’utilise pas sa langue maternelle (l’allemand) pour se défendre et surtout pour échanger avec son fils ( une mère utilise toujours sa langue maternelle pour parler à son enfant en première intention et aussi pour se défendre lorsque sa vie est en jeu). La scène de l'empoisonnement du chien est tirée par les cheveux mais comme je l’ai dit ça n’est pas l’essentiel !


Que nous dit donc ce film sur la société ? De quelle manière portons-nous un jugement lorsque des faits ne peuvent être totalement et de manière irréfutable, expliqués ?

Lorsque dans une enquête, un corps, une scène de crime, des témoignages ne permettent pas d’expliquer un décès alors nous allons chercher, gratter pour faire apparaître une vérité. Mais quelle vérité ? Et là est la question philosophique qui nous occupe, la vérité puisqu’elle passe par nos filtres, différents pour chacun d’entre nous car ils sont fonction de notre sexe, de notre histoire familiale, de notre culture, de nos croyances et conditionnements, est une distorsion de la réalité.


Il y a une dizaine d’années, j’ai été jurée et tirée au sort pour trois affaires criminelles épouvantables aux assises de Bobigny, je me souviens avoir découvert le fonctionnement de la justice et avoir ressenti un malaise pour la première affaire et alors qu’il n’y avait pas d’aveux de l’accusé, j’avais écouté l’enquête de personnalité faite par une personne qui n’est pas psychologue et dont je ne me souviens pas le titre. J’avais ressenti que les éléments collectés en quelques heures sur la vie de l’accusé, les quelques témoignages étaient relatés de manière orientée certainement pas intentionnellement mais simplement par notre nature humaine qui ne fait qu’interpréter même si nous nous en défendons. Je m’étais dit à l’époque qu’en faisant une enquête de personnalité sur moi avec ma vie on ne peut plus lisse, on aurait pu orienter mes actes, mes habitudes ou les dires du voisinage car tout cela n’est qu’interprétation.

Et bien c’est ce que l’on voit lors du procès dans le film, on veut donner un sens, on veut trouver une explication tout en semblant s’appuyer sur des faits et des témoignages, on ne fait que distordre la réalité. D’ailleurs même  l’enregistrement d’une dispute du couple, qui peut sembler incontestable, n’est qu’une interprétation de la réalité. C’est la force de ce film, de nous montrer sans cesse que ce qui peut sembler des preuves irréfutables ne sont que des interprétations à travers notre nature humaine.

Ce film met en lumière notre manque d’humilité, principalement des magistrats lorsque tous les éléments ne permettent pas de trancher. Cette justice, parce qu'exercée par des femmes et des hommes, des humains donc, n’accepte pas de ne pouvoir trancher, cette justice aurait besoin de quelques cours de spiritualité autour du sujet de l’égo et retrouver plus d’humilité, car on ne sait pas tout ce qu'on ne sait pas et la vie est faite de nuances. 

Lors de cette première affaire criminelle pour laquelle j’étais jurée et dont je vous ai parlé plus haut, je me souviens avoir exprimé, lors de nos débats entre jurés et magistrats, le fait de ne pas avoir d’intime conviction, que je ne voulais pas participer à une erreur judiciaire et que je n’avais pas trouvé le sommeil. Le président du jury m’avait dit: "il n’y a pas d’erreur judiciaire", je lui avais opposé entre autres l’affaire Patrick Dils qu’il avait éludé d’un revers de manche et d’hermine ! 

Couverture du livre de Philippe Jaenada

Venons en maintenant au principal sujet abordé selon moi dans ce film qui est le patriarcat dans lequel nous baignons depuis si longtemps qu’il influence insidieusement notre perception et notre jugement.

Je vous renvoie d'ailleurs à l’excellent livre de Philippe Jaenada “La petite femelle” sur le traitement de l’affaire Pauline Dubuisson dans une société patriarcale qui fait plus qu’influencer la justice et l’opinion publique.




L’accusée dans le film de Justine Triet, la suspecte d’avoir tué son mari plutôt qu’il ne se soit suicidé est une femme, cela ne vous a pas échappé.

Cette femme se retrouve dans toutes les facettes de sa vie professionnelle, de couple, de mère, à la place attribuée classiquement à l’homme. Absolument toutes les facettes y sont traitées.

Elle a mieux "réussi" que son mari ou plus exactement elle réussit à se prioriser, à prendre du temps pour elle afin d’écrire alors que lui s’est consacré beaucoup plus à son fils. Il n’a pas réussi à sortir de sa culpabilité face à l’accident qui a eu lieu quelques années auparavant et qui a fait perdre la vue à leur fils. Dans la dispute enregistrée c’est cela qui ressort, cette amertume, cette jalousie envers elle qui n’est pas restée victime, qui a choisi d’avancer.

Elle le lui dit ouvertement, il a fait des choix et il aurait pu en faire d’autres.


Mais ce qu’on lui reproche le plus, magistrats et spectateurs peut-être (qu'avez vous ressenti pour elle ?) c’est sûrement d’être  une mauvaise mère, cela est dit d’ailleurs “froide” parce que d’ordinaire celle qui ne se remet pas d’un accident impliquant son enfant et qui sacrifie sa vie et sa carrière c’est la femme, la mère. 

Si cela avait été l’homme dans cette situation, il aurait été dit après le choc de l’accident, “il s’est jeté dans le travail pour oublier” et tout le monde aurait trouvé cela normal.

Il n’y aurait peut être même pas eu de doute sur le suicide, la pauvre femme elle est restée fragile depuis l’accident, elle ne s’est pas remise de sa culpabilité, elle se sentait dévalorisée car incapable de réussir sa carrière, la pauvre, logique qu’elle se soit suicidée !

D’ailleurs l’intervention du psychiatre qui suivait le défunt est intéressante une fois de plus sur le manque d’humilité dans cette profession aussi, incapable d’accepter que peut-être la victime ait pu mentir à son thérapeute et prévoir de se suicider tout en laissant croire qu’il souhaitait arrêter les cachets pour se remettre à écrire. Cela nous parle encore une fois de la manière dont la parole des femmes est reçue différemment de celle des hommes même par un thérapeute. Le psychiatre malgré sa profession et parce qu’il reste un humain dans cette société patriarcale avait pris le parti de son client en considérant sa femme comme responsable des souffrances de celui-ci. Il aurait été plus judicieux d’aider cet homme à guérir ses blessures émotionnelles, lui montrer les ressources en lui et comprendre que personne n’est jamais responsable de nos souffrances ou si des actes clairs sont là, il y a toujours moyen d’y mettre un terme.


Nous apprenons aussi que c’est le mari qui n’a plus souhaité de relations sexuelles après cet accident, nous pouvons percevoir une détresse psychologique qui en dit long sur son état d’esprit. De son côté sa femme exprime qu’elle a eu des aventures dont une homosexuelle, qu’elle avait besoin physiquement de relations intimes mais qu’elle aimait son mari, qu’elle n’avait pas de sentiments pour ces aventures. Voilà un discours et des attitudes totalement inversés dans le schéma classique, c’est une attitude d’homme et je peux vous le certifier ce sont des propos que j’entends venant des hommes dans mes accompagnements. Il n’y a bien sûr rien à juger mais le film montre bien que tout cela influence le regard porté sur cette femme, notre façon de la percevoir. 

Dans notre inconscient collectif c’est l’homme qui a des besoins et c’est la femme qui se prive de sexe.

Il est question aussi du “pillage” de l’œuvre du mari décédé, en effet celui-ci avait commencé à écrire et sa femme a utilisé une de ses idées dans son roman voyant que celui-ci avait abandonné l’écriture et alors qu’elle l’avait largement encouragé et avait exprimé tout le bien qu’elle pensait de son idée. Elle ne lui avait pas caché qu’elle utiliserait cette idée dans son roman et il ne s’y était pas opposé. Nous pouvons trouver cela limite comme attitude, même si cela ne représente qu’une vingtaine de lignes dans un roman de trois cents pages mais cela reste bien léger au regard de toutes les femmes depuis la nuit des temps dans l’ombre de leurs maris artistes ou scientifiques, certaines totalement pillées de leur découverte, oubliées de l’histoire, reléguées souvent au simple statut de muses !!


Couverture du livre " Dans l'ombre des grands hommes"

J’ai lu après coup quelques critiques de ce film venant de certains qui s’insurgent contre cette position féministe de la réalisatrice et le fait qu’elle trouve un public de "wokistes", et d’autres n’ont absolument pas perçus cette dimension féministe et engagée !

Cela montre bien que nous baignons sous des couches de conditionnements, nous sommes tellement imprégnés de patriarcat. Et cela parle aussi de notre manière de réagir à ce qui nous dérange, à ce qui questionne nos croyances, nos conditionnements. Plutôt que de zapper ou rejeter, faisons un pas de côté, laissons nous le temps de la réflexion sur ce et ceux qui nous dérangent justement; mais qu’est ce que cela vient toucher en nous ?

Merci à Justine Triet de permettre la réflexion, merci de venir déranger.


Merci de votre lecture, vos commentaires sont les bienvenus, éclairons nous !



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